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21/06/2025

Chronique d'un retour

Chronique d’un retour entre déracinement et enracinement

Un collègue resté au pays me demande si je rentre bientôt. Je lui réponds, sans entrain, que je reviendrai à l’automne. Cinq années à l’Est, dans un ailleurs qui surprend et transforme. Il parle de déracinement. Je ne sais plus très bien ce que cela veut dire.

Enracinement, déracinement… à vrai dire, je ne sais plus dans quel sens cela fonctionne.
Depuis les années 90, ma vie alterne entre allers et retours, entre continents familiers et terres plus rudes, entre promesses d’envol et devoirs de retour.

J’ai vu défiler les capitales d’une Europe qui tangue, les provinces oubliées de l’espace post-soviétique, des villes chargées d’Histoire, de blessures, de beauté.
J’ai passé des frontières invisibles, croisé des mémoires enfouies sous la langue, vu des cartes se déformer à mesure que la géopolitique raturait les lignes.

Entre deux postes, quelques escales en France. Certaines m’ont étouffé, d’autres m’ont apaisé.
Mais toujours, le cap me ramenait vers cet Est intérieur, là où l’on apprend à lire les silences, à écouter les visages, à marcher doucement dans les interstices du pouvoir.

Je vis aujourd’hui dans une région où l’un des parents de mon épouse est né, sur une terre disputée, annexée, recomposée par les chocs de l’Histoire.
Dans la forêt voisine, des caches ont abrité des adolescents en fuite pendant la guerre.
Je pense souvent à eux. L’un d’eux, peut-être, ressemblait à mon beau-père.

J’ai grandi, je crois, avec une forme d’éducation européenne — mais disons… une éducation à la fracture, au frottement, à la fidélité.
En lisant Éducation européenne de Romain Gary, j’ai compris que certaines transmissions ne se font pas par les livres, mais par le silence des survivants.

Peut-être est-ce cela, le fil rouge de ma trajectoire : la résistance.

Résistance intime, d’abord, face aux conformismes que je pressentais déjà enfant.
Résistance des dissidents croisés dans les livres ou les archives.
Résistance des peuples debout malgré la tempête.
Et résistance d’un autre ordre, plus subtile : celle de la langue française, de la pensée libre, de la nuance — dans un monde saturé de mots creux.

Je m’y accroche comme à une rambarde dans la tourmente.
Et je rentre bientôt, non pas plein de certitudes, mais avec une vigilance tranquille.


Signé quelque part entre deux mondes, en juin 2025


Erkin Jon – homme libre

 

 

 

02/10/2011

trajet du matin à Moscou

Moscou le 07/06/2001

Nous allons le matin
Qu'il vente, qu'il neige
Ma foi nous sommes biens
Et devant le Grand Pierre,
Et devant le Grand Lénine,
Et devant le Grand Gagarine,
Qu'il pleuve, qu'il grêle,
Rien ne nous arrête!
Nous roulons pour l'école.
Les cheveux de Nora
Sont maintenant bien plus longs,
En cette fin de grande section.

Une journée à la colonie pénitenciaire

Une journée à la colonie pénitentiaire pour adolescent de Neve

Le 06 décembre 1999

Russie

              Quand le jour s'est levé sur la colonie nous étions au chaud dans le bureau du directeur. Au dehors, le site était cristallisé par le givre. Le camion garé depuis la veille devant l'entrée du bâtiment suscitait l'intérêt de tous, et brisait déjà quelque peu l'inertie installée avec l'hiver. Car ici, que peut-il se passer ? La colonie est "posée" sur une colline, à l'écart de la petite ville de Nevel. Presque un bastion isolé, un poste militaire aux confins d'un territoire désertique. Autour, c'est vide !

 

            Le directeur, un nouveau, était anxieux, inquiet de recevoir une délégation de l'Ambassade de France. Enfin , je ne sais quel raison lui fit décider, soudain, qu'il fallait visiter les lieux. Il y a l'extérieur et l'intérieur. Là, comme presque partout en Russie, les installations sont en briques et paraissent plus anciennes qu'elles ne le sont. L'extérieur, c' est le lieu de travail du personnel, c'est la chaufferie qui fonctionne au charbon, c'est l'entrepôt et c'est l'immeuble pour les familles du personnel administratif et des gardiens. Je ne peux m'empêcher de penser que les enfants du personnel vivent aussi un peu en prison. L'intérieur, c'est une grande enceinte avec un premier mur couvert de barbelés et une clôture de barbelé à 5 mètres de distance. Pour entrer, il faut franchir un sas avec des doubles portes.

            Notre visite commença par le petit bâtiment de l'infirmerie. Les quelques malades présents se mirent au garde-à-vous. Ils attendaient, assis sur les lits, sans un livre. le médecin parla de quelques cas de tuberculose qu'il ne pouvait soigner sur place. Puis, nous visitâmes l'école. Celle-ci ressemble à toutes les écoles vétustes de province. Au premier étage (à la russe) une équipe lavait le sol à genoux, serpillière à la main. Un adolescent détenu chargé de l'escalier se présenta à nous par les chaussures : sur celles-ci, nom et numéro de matricule étaient peints en blanc. Les professeurs sont des femmes motivées et chaleureuses et elles enseignent le même programme permettant de recevoir le diplôme de fin d'études secondaires. Pour aider à la réinsertion, rien n'est inscrit sur ce document quant à la peine purgé par l'adolescent. Certains "élèves" se souvenaient de la mission précédente. Beaucoup sont emprisonnés pour vols avec récidives...2, 3, 5 ans et même 9 ans pour un jeune d'une quinzaine d'année. Pour une telle peine, il ne s'agit plus de vol. Inutile de poser la question. L'histoire douloureuse de chacun pourrait se lire dans les yeux, sur le corps. Les crânes rasés permettent la lecture des coups reçus dans leur vie d'avant l'emprisonnement. Certains sont visiblement mieux ici que dans leur famille. Ils mangent à leur faim et apprennent à lire et à écrire.

            Ensuite, nous devions visiter les deux immeubles, identiques dans leur conception, où sont situés les chambres, les sanitaires et les salles de loisir. Les jeunes sont par chambrées de 30. L'espace est tellement limitée qu'il ne peut y avoir de table de chevet entre les lits. Pas d'armoire personnelle. Une pièce est équipée de grandes tringles pour y suspendre les effets civils. La télévision est présente dans de grandes salles munies de bancs. Une petite pièce où trône un samovar permet la pause thé ou café. "Les petits sachets de café et de soupe emballés par nos soins seront utiles" dit Frédérique. Je me dis aussi que les quelques livres en russe que j'ai apportés iront enrichir et renouveler le choix dans la petite bibliothèque.

            Sachez que les détenus fabriquent eux-mêmes, quotidiennement, 300 pains et participent à la cuisine collective. Un autre grand bâtiment est consacré à la formation professionnelle. Initiation à la mécanique, plomberie rudimentaire, travail du métal pour fabriquer des outils de jardinage, cordonnerie afin réparer les chaussures défaillantes.

En ce qui concerne la livraison des colis, voici ce que je peux en dire car cela s'est déroulé très vite :

 

            Ils marchèrent au pas et en cadence jusqu'à l'école. Ils se rangèrent, groupe par groupe dans le hall, sous l'oeil vigilant des gardiens. Nous distribuâmes à chacun un colis, non sans avoir précisé que malgré les différentes tailles le contenu était le même. Tout se passa très vite, mais je lisais dans les regards et dans les réactions des jeunes et des gardiens que notre opération apportait, sinon du bonheur, au moins du réconfort en cette fin d'année. J'ajouterais, pour terminer, que les jeunes semblaient correctement traités par des gardiens qui se comportaient humainement.

Dans le bain

medium_Namesti_Miru.jpgEcrit à Prague en 2005

Je le sens

Pour mon bien

Je reviens dans le bain

Les larmes coulent

Salées, filtrées dans l'intra-utérin

Tout explose de lumière

Tout m'expose au sommeil

Un rien est une barrière

J'ai besoin de tendresse

Un rien me blesse

Tout m'agresse

Une renaissance

Te retrouver sans cesse

Te chercher

Tout petit

Dans un lourd sommeil de Plomb

Je m'abandonne.

 

17:25 Publié dans Souvenirs | Lien permanent | Commentaires (0)