13/06/2025
Chronique d'un retour
Chronique d'un retour entre déracinement et enracinement
J'écris à un collègue qui est en France et je lui dis, sans joie, que je vais rentrer au pays en septembre. 5 ans en Biélorussie, cela lui paraît long et il évoque un déracinement. Voilà ce que je lui réponds :
Enracinement, déracinement… à vrai dire, je ne sais plus dans quel sens cela fonctionne.
Depuis 1991, je vis à l’étranger par intermittence, entre éclats de retour et appels du large. Samarcande, Nijni-Novgorod, puis une halte en France, le temps d’un concours. Me voilà reparti dans l’autre sens, direction Moscou, cette fois avec armes, bagages et famille.
S’enchaînent alors les étapes : Prague, un retour de deux ans en France, avant que la boussole ne me conduise en Ukraine. Kiev, Odessa avec ses quartiers juifs aux pavés de mémoire, le Donbass où j’ai tant de fois franchi les portes des classes de français — tout est détruit maintenant. La Crimée…
2012, Toulouse : je tombe sur des collègues d’un autre âge, staliniens dans leur geste, dans leur souffle. Deux ans plus tard, Caen : je respire enfin. Puis vient la Biélorussie, là où le père de ma femme vit le jour, dans une zone qui fut jadis la Pologne, avant que l’ogre soviétique ne l’engloutisse en 1939. Je revois l’armée rouge défilant à Brest-Litovsk, bras dessus bras dessous avec les Nazis.
Je crois avoir reçu une forme d’éducation européenne, disons... plus à l'Est. Une éducation du frottement, de la fracture et de la fidélité. En lisant Éducation européenne de Romain Gary, je crois comprendre ce qu’a vécu le père de mon épouse, adolescent caché entre 15 et 17 ans dans une kryjówka, une de ces caches forestières entre Biélorussie et Pologne, parmi les partisans.
C’est peut-être cela, le fil rouge de ma vie : la résistance.
Résistance intime à la pression sociale que je sentais déjà enfant. Résistance des partisans, des dissidents soviétiques, de Václav Havel. Résistance des Ukrainiens, debout malgré le fracas.
Et puis, résistance d’un autre ordre : celle de la langue française, de la Francophonie, face au rouleau compresseur des uniformités et des oublis. Résistance douce des profs de français biélorusses... Merci !
Je m’y accroche comme à une rambarde dans la tempête.
Minsk, juin 2025
17:18 Publié dans La Russie | Lien permanent | Commentaires (0)
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