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21/06/2025

Celui qui ne rentre nul part

Il existe des êtres qu’on identifie vite.
Ils sont “de gauche”, “de droite”, “modérés”, “engagés”, “progressistes”, “réacs”, “écolos”, “éveillés”, “conservateurs”.
On les range, on les catalogue, on sait comment leur parler.
Ils font masse.

Et puis il y a ceux qu’on ne classe pas.
Qui lisent entre les lignes, mais ne crient pas.
Qui n’adhèrent pas, mais écoutent.
Qui refusent le slogan, mais avancent.
Qui voient les failles sans se réjouir, les dogmes sans se soumettre, les dérives sans en faire spectacle.

Ceux-là sont les plus dangereux.
Parce qu’ils ne rentrent nulle part.
Parce qu’ils ne jouent aucun rôle.
Parce qu’ils ne cherchent ni sauveur, ni cause, ni groupe d’appartenance.

Je suis, peut-être, de ceux-là.
Pas par choix, mais par nature.
On m’a appris à réfléchir — et j’ai gardé ce défaut.
J’ai vu ce que coûtait l’intelligence dans un monde qui préfère l’adhésion.

Face aux micros, je dévie.
Dans les foules, je traverse.
Devant les cases à cocher, je réfléchis longuement.
Pas par paresse. Par vigilance.

Le pouvoir, quel qu’il soit, n’aime pas ceux qui pensent sans appartenir.
Il préfère les indignés bien orientés, les rebelles sous licence, les consciences groupées.
Moi, je me tiens ailleurs.

Ce n’est pas du courage.
C’est une fidélité.
À quelque chose d’antérieur à tous les récits.
À un regard qu’on ne vend pas.
Et à une solitude qu’on habite comme une haute ligne, là où l’air est plus rare, mais plus vrai.

En juin 2025, quelque part dans ce vaste monde

Erkin Jon - Homme libre

 

 

Une idée bien peignée

L’élégance du récit collectif

Il suffit parfois d’une idée — bien façonnée, bien partagée, bien répétée — pour que tout un monde s’incline.

Elle ne demande pas à être vraie.
Il lui suffit d’être dite avec assez d’assurance, portée avec douceur par ceux qui la portent.
La conviction fait le reste.

On sait que lorsqu’une idée est répétée avec assez d’assurance et d’attention, elle finit par s’imposer comme une vérité, peu importe qu’elle soit fondée ou non. Le simple fait d’y croire intensément peut lui donner une existence propre. 

J’ai vu ces réalités naître : dans les conversations, les médias, les rassemblements, les foyers.
Elles avaient le ton de la raison, le sourire du bon sens, la politesse de l’évidence.
Il fallait les accueillir — ou du moins faire semblant.

On nous apprend très tôt :
applaudir ce qu’il faut, aimer les groupes, les rythmes, les chants, les émotions partagées.
S’étonner d’aimer autrement, c’était déjà s’exclure.

Alors, on apprend à marcher droit.
À se faire discret avec élégance.
À penser un peu à côté, mais en silence.

Plus tard, on retrouve ces mécanismes ailleurs :
dans le sérieux convenu des discours, dans les mots creux brandis comme talismans :
inclusion, progrès, urgence, ensemble.
On change le décor, mais la mise en scène persiste.

J’écris cela sans colère.
J’ai simplement cessé de croire que le groupe pense mieux que l’individu, ou que la répétition crée la vérité.

Ce n’est pas un programme, ni un manifeste.
Juste une posture : celle de l’observateur.
Pas sur une barricade — mais sur une ligne de crête.
Entre silence et parole. Entre solitude et lien.
Un lieu fragile, mais clair.

Quelque part à l’Est, ou ailleurs

Erkin Jon — Homme libre

 

23:04 Publié dans Impertinences | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guetteur, idée

Je te lis

 

Et puis, le soir même, je branche les infos.
« Meurtre d’une surveillante »… et quoi d’autre ce soir ?
Une rixe ? Une agression ? Une fusillade peut-être.
Et ensuite, quelqu’un, avec un sourire sincère, me demandera :
« Alors, content de rentrer ? »

Et là, je me surprends à penser que oui,
j’ai vécu dans un pays lourd, parfois étouffant, absurde à sa manière…
mais sans effraction dans les écoles,
sans cette violence diffuse qui s’invite jusque dans les lieux d’apprentissage.
Là où les jeunes, même désœuvrés, baissent la tête pour dire bonjour,
où un téléphone oublié attend patiemment son propriétaire,
où marcher seule le soir ne fait pas lever la tête ou serrer les clés dans sa poche.

Mais là aussi — un système figé, suradministré, vidé de son élan,
où le contrôle a remplacé la confiance,
et où l’on joue à la modernité comme à un théâtre sans spectateurs.

Là-bas, trop.
Ici, plus assez.
Et entre les deux, une ligne de crête.

Alors je me demande :
Existe-t-il encore un équilibre ?
Ou faut-il simplement apprendre à avancer autrement,
sans céder à la peur ni à l’amnésie,
sans illusions, mais sans renoncement non plus ?

Un soir de juin, quelque part à l'Est,
ce goût âcre, à l’heure d’écrire.

Erkin JON – Homme libre

 

22:37 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

Le regard du Huron

 

Je rentrerai en France avec un regard lavé par l’ailleurs,
non pas pour juger, mais pour observer.
Observer cliniquement, comme un médecin ausculte un corps fatigué.
Que font-ils ? Pourquoi font-ils cela ?
À qui parlent-ils, et pour dire quoi ?
Est-ce utile ? Est-ce nécessaire ?
Est-ce un soin, ou un symptôme de plus ?

Je regarderai les rituels, les indignations mécaniques, les slogans recyclés.
Les injonctions à la modernité, les appels à l’autorité,
les discours sur une société "refondée", "réenchantée" ou "remobilisée",
jusque dans ses institutions éducatives et culturelles.
J’écouterai les mots qu’ils emploient — et surtout ceux qu’ils n’emploient plus.

Je ne serai pas dupe.
Mais je ne serai pas cynique non plus.
Simplement, je regarderai comme le Huron de Voltaire,
avec cette naïveté feinte et cette lucidité acérée.
Comme un homme revenu d’un long voyage,
qui voit ce que les autres ne voient plus.

Et peut-être, dans ce regard décalé, dans cette étrangeté tranquille,
quelque chose pourra être dit.
Non pour condamner, mais pour comprendre.
Non pour fuir, mais pour résister autrement.
Avec calme. Avec franchise.
Avec cette liberté que donne l’exil intérieur.

Signé, quelque part à l'Est, entre deux mondes

Erkin Jon – Homme libre

 

 

Chronique d'un retour

Chronique d’un retour entre déracinement et enracinement

Un collègue resté au pays me demande si je rentre bientôt. Je lui réponds, sans entrain, que je reviendrai à l’automne. Cinq années à l’Est, dans un ailleurs qui surprend et transforme. Il parle de déracinement. Je ne sais plus très bien ce que cela veut dire.

Enracinement, déracinement… à vrai dire, je ne sais plus dans quel sens cela fonctionne.
Depuis les années 90, ma vie alterne entre allers et retours, entre continents familiers et terres plus rudes, entre promesses d’envol et devoirs de retour.

J’ai vu défiler les capitales d’une Europe qui tangue, les provinces oubliées de l’espace post-soviétique, des villes chargées d’Histoire, de blessures, de beauté.
J’ai passé des frontières invisibles, croisé des mémoires enfouies sous la langue, vu des cartes se déformer à mesure que la géopolitique raturait les lignes.

Entre deux postes, quelques escales en France. Certaines m’ont étouffé, d’autres m’ont apaisé.
Mais toujours, le cap me ramenait vers cet Est intérieur, là où l’on apprend à lire les silences, à écouter les visages, à marcher doucement dans les interstices du pouvoir.

Je vis aujourd’hui dans une région où l’un des parents de mon épouse est né, sur une terre disputée, annexée, recomposée par les chocs de l’Histoire.
Dans la forêt voisine, des caches ont abrité des adolescents en fuite pendant la guerre.
Je pense souvent à eux. L’un d’eux, peut-être, ressemblait à mon beau-père.

J’ai grandi, je crois, avec une forme d’éducation européenne — mais disons… une éducation à la fracture, au frottement, à la fidélité.
En lisant Éducation européenne de Romain Gary, j’ai compris que certaines transmissions ne se font pas par les livres, mais par le silence des survivants.

Peut-être est-ce cela, le fil rouge de ma trajectoire : la résistance.

Résistance intime, d’abord, face aux conformismes que je pressentais déjà enfant.
Résistance des dissidents croisés dans les livres ou les archives.
Résistance des peuples debout malgré la tempête.
Et résistance d’un autre ordre, plus subtile : celle de la langue française, de la pensée libre, de la nuance — dans un monde saturé de mots creux.

Je m’y accroche comme à une rambarde dans la tourmente.
Et je rentre bientôt, non pas plein de certitudes, mais avec une vigilance tranquille.


Signé quelque part entre deux mondes, en juin 2025


Erkin Jon – homme libre